Le ciel risque de s’obscurcir entre Le Caire et Riyad. L’Arabie Saoudite a en effet décidé de rappeler pour «consultation» son ambassadeur en Egypte et de fermer son ambassade au Caire et ses consulats à Alexandrie et Suez. Motif ? Manifestations hostiles, mardi, contre la monarchie dans le sillage de l’arrestation d’un avocat égyptien à Jeddah alors qu’il accomplissait une omra (petit pèlerinage). Du coup, le couple égypto-saoudien, jusque-là uni pour le meilleur et contre le pire, étale publiquement ses divergences.
C’est en tout cas la première fois que Riyad recourt à cette solution extrême qui consiste à fermer ses représentations au Caire. On est loin de la période bénie du «raïs» Moubarak durant laquelle les deux gouvernements filaient le parfait amour. Les jeunes de la place Tahrir ne veulent visiblement plus que l’Egypte s’acoquine avec la monarchie wahhabite. Et ils l’ont bruyamment fait savoir, mardi dernier, devant le siège de l’ambassade saoudienne au Caire.

Menace sur les diplomates

Selon un porte-parole officiel, cité par l’agence de presse du royaume, les mesures prises font suite aux «menaces» contre ces missions diplomatiques saoudiennes après l’annonce de l’arrestation d’un avocat égyptien en Arabie Saoudite. Place Tahrir… si loin de Riyad. Le porte-parole a qualifié les manifestations devant ces représentations d’«injustifiées», évoquant des tentatives d’envahir ces missions et des menaces contre leurs employés saoudiens et égyptiens.

«Des slogans hostiles ont été scandés et l’immunité des représentations diplomatiques a été violée contrairement à toutes les règles internationales», a ajouté le porte-parole saoudien. Selon lui, ces manifestations et ces violences ont conduit à l’interruption de l’activité diplomatique et consulaire, y compris les facilités pour les voyages des travailleurs et des pèlerins égyptiens en Arabie Saoudite. Des centaines d’Egyptiens ont manifesté, rappelle-t-on, mardi dernier, devant l’ambassade saoudienne au Caire pour réclamer la libération d’un avocat et défenseur des droits de l’homme égyptien arrêté par les autorités saoudiennes. Ils ont scandé des slogans hostiles au régime saoudien auquel ils ont demandé la libération «immédiate» d’Ahmed Mohamed Tharwat Al Gizawy, arrêté le 17 avril à son arrivée à l’aéroport de Jeddah.

L’union «sacrée» vire à la «fitna»

Selon l’Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI), une ONG égyptienne, l’avocat a été arrêté car il avait été jugé par contumace à un an de prison et vingt coups de fouet pour avoir critiqué le pouvoir saoudien, une information démentie par l’ambassadeur saoudien au Caire. Il serait visé, a ajouté cette ONG, pour son activisme en faveur d’Egyptiens détenus dans les prisons saoudiennes. Maître Gizawy, qui a pris la défense de ses compatriotes, a accusé le roi Abdallah Ben Abdelaziz et les autorités saoudiennes de «se livrer à des arrestations arbitraires de ressortissants égyptiens en Arabie et de les torturer», selon des ONG égyptiennes.

L’avocat voyageait en compagnie de sa femme pour accomplir le petit pèlerinage à La Mecque lorsqu’il a été arrêté à l’aéroport de Jeddah, sans avoir été informé au préalable de sa condamnation, rapporte l’ANHRI. Le chef de la diplomatie égyptienne, Mohamed Kamel Amr, a fait savoir qu’il avait chargé l’ambassade d’Egypte à Riyad «d’engager d’urgence des contacts avec les autorités saoudiennes en vue de libérer le ressortissant égyptien».
Des parlementaires égyptiens ont rencontré mardi l’ambassadeur saoudien au Caire pour évoquer cette affaire, a indiqué l’un d’eux, Moustapha Naggar. L’ambassadeur, Ahmed Adel Aziz Qattan, a de son côté «regretté les informations erronées publiées par les médias égyptiens» sur cette affaire.

Il a ajouté, dans un communiqué, «qu’aucun jugement à la prison ou au fouet n’a été rendu» contre cet Egyptien, en affirmant que ce dernier a été appréhendé et déféré au parquet après la découverte de milliers de comprimés d’un produit considéré comme une drogue et prohibé, sauf avis médical. Les comprimés, selon le communiqué, étaient dissimulés dans des boîtes de lait pour enfants et dans les couvertures de deux exemplaires du Coran. Mais pour qui connaît les modus operandi du royaume pour étouffer les voix discordantes, «l’argument» des comprimés paraît facilement soluble…

Hassan Moali (El Watan 29 avril 2012)